YOSANO Akiko
Poétesse féministe de la première moitié du 20e siècle

YOSANO Akiko à l'école Bunka Gakuin en 1927.
YOSANO Akiko (1878-1942) est une des premières féministes japonaises et surtout une poétesse du tanka, qui fascine toujours les lecteurs avec la force de sa poésie et l'audace de l'expression.
Sa famille, tenant une vieille confiserie à Sakai (Osaka), était assez riche pour lui faire continuer les études au lycée municipal des filles de sa ville natale. Elle y fut ravie de la littérature et se plongeait dans la lecture des classiques japonais ; elle était toutefois aussi excellente en mathématique.
Diplômée du lycée, elle aidait le commerce de sa famille et commença à faire des tanka. La rencontre avec le poète YOSANO Tekkan (1873-1935) en 1900 à Sakai lui était fatale : tombés amoureux, ils se marieront à Tokyo l'année suivante lorsque le jeune homme aura divorcé sa seconde épouse. Le mari éditait depuis peu la revue littéraire « Myôjô », dans laquelle la jeune poétesse commença à publier ses ouvrages.
Dans son premier recueil de tanka « Midare-gami (Les cheveux en désordre) » (1901), elle chanta audacieusement l'amour et l'élan vital d'une jeune femme ; sans jamais être obscène, sa poésie fraîchement voluptueuse bouleversa néanmoins le monde littéraire et attira à elle un tollé des conservateurs. Elle bénéficiait cependant du soutien du vaste public qui s'intéressait à la poésie grâce surtout à l'enseignement obligatoire.
Ce qui est frappant dans sa poésie, c'est sa confiance en elle-même : sûre d'elle, elle nous montre sans dissimulation ce qu'elle pense, ce qu'elle sent et ce qu'elle est. Elle est inébranlable ; ce qui est très difficile à trouver chez les poètes masculins japonais à son époque qui sont souvent frêles et nerveux, ou machos par la fuite en avant.
Par suite du déclenchement de la guerre russo-japonaise en 1904, son frère cadet, mobilisé par l'armée de terre, fut envoyé en Mandchourie comme sous-lieutenant. La poétesse publia un long poème libre « Kimi shini tamô koto nakare (Que tu ne meures pas!) » et protesta contre l'empereur « qui ne va pas aux champs de bataille ». Cette fois-ci aussi, elle dut s'exposer à une pluie d'accusations de la part des nationalistes et des conservateurs.
Son mari étant parti pour la France en vue des études de la nouvelle théorie littéraire, elle le suivit via Sibérie pour le joindre à Paris en mai 1912. Elle ne passa que quelques mois en Europe, mais cette expérience lui était très précieuse : les tanka qu'elle fit de ce voyage sont marqués par la fraîcheur inouïe.
D'une tendance libérale de la bourgeoisie citadine éclairée, elle fut aussi une des premières féministes du pays. Elle s'efforça d'élargir la porte de l'enseignement secondaire aux filles, et aida avec ses amis à fonder en 1921 une école privée Bunka Gakuin (Institut de la Culture) pour effectuer un enseignement libéral aux jeunes des deux sexes.
Politiquement, elle s'opposait au socialisme qu'elle trouvait contrariant la liberté individuelle. En effet, son féminisme se fondait surtout sur l'égalité intellectuelle des deux sexes : elle mena un combat acharné pour l'enseignement des filles et pour le droit de vote des femmes dès 1915 (rappelons-nous qu'il ne fut reconnu en France qu'en 1944). Mais elle se montrait froide envers l'injustice sociale qui gangrenait le pays à cette époque. Par exemple, elle était contre la protection maternelle par l'État, car c'était pour elle un moyen de plus de contraindre la femme à la maternité. A ce sens-là, son positionnement fut vivement critiqué par les féministes radicales comme HIRATSUKA Raichô (1886-1971) qui réclamaient une égalité sexuelle basée sur l'équité sociale.
Ses idées anti-bellicistes, plus émotionnelles que philosophiques, furent ainsi altérées ensuite dans la vague du « patriotisme ». C'était la limite d'une libérale mais au fond conservatrice de cette époque. Déjà à l'occasion de la première guerre mondiale, elle ne cacha pas son excitation : « Cela m'exalte, même moi qui n'aime pas la guerre... » En fait, le Japon déclara la guerre contre l'Allemagne en tant qu'allié de l'Angleterre. Mais il était en réalité un pêcher à l'eau trouble : profitant de l'impuissance des ennemis, il s'appropria toutes les colonies allemandes en Asie de l'Est avec le moindre dégât personnel. Cette victoire presque gratuite ensorcela beaucoup de Japonais, et la poétesse ne pourra plus se reculer dans une vingtaine d'années : lorsque son quatrième fils partit en guerre contre les Alliés, elle osa l'encourager à « se battre dignement » en tant que capitaine de la Marine impériale. Ainsi, la jeune femme qui tréssaillait du présentiment de la mort au combat de son frère cadet ne se trouvait plus en elle au commencement de la seconde guerre mondiale...
Paralysée par suite d'une hémorragie cérébrale, elle mourut en 1942 après deux ans de maladie, sans voir la défaite japonaise en définitive.
Yawahada no / Atsuki chishio ni / Fure mo mide
Sabishi-karazu ya / Michi o toku kimi.
Sans vouloir toucher
La chaleur du sang rouge
Sous cette peau douce,
N'es-tu vraiment pas triste,
Ô toi qui prêches le Chemin.
Sono ko hatachi / Kushi ni nagaruru / Kurokami no
Ogori no haru no / Utsukushiki kana.
Âgée de vingt ans,
Qu'elle est fière de ses cheveux
Flottants sous la peigne.
Elle est naturellement belle,
Au printemps de la vie.
Mune no shimizu / Afure te tsui ni / Nigori keri
Kimi mo tsumi no ko / Ware mo tsumi no ko.
De mon cœur jaillit
De l'eau si pure qui, débordée,
Devient toute turbide.
Tu es un fils du péché,
Moi aussi, j'en suis une fille.
Sanzen ri / Wa ga koibito no / Katawara ni
Yanagi no wata no / Chiru hi ni kitaru.
Par les trois milles lieux,
Je parvins auprès de toi,
Ô mon amoureux,
Aujourd'hui que de l'osier
Les duvets s'éparpillent.
Aa satsuki / Furansu no no wa / Hi no iro su
Kimi mo kokuriko / Ware mo kokuriko.
Ô nous sommes en mai,
Ils sont de couleur du feu,
Les champs de la France.
Toi, tu es un coquelicot,
Un coquelicot, moi aussi.
Iki te yo ni / Mata min koto no / Katakara ba
Kanashikara mashi / Kure yuku Pari
Je te dis en pleur :
Combien ce serait triste
Si l'on ne pouvait
Revoir de notre vivant
Cette Paris au crépuscule.
Gôsho yori / Tsukuri itonamu / Dendô ni
Ware mo / Kogane no / Kugi hitotsu utsu.
Depuis la Genèse,
Nous bâtissons assidus,
Un grand édifice.
Je me permets, moi aussi,
D'y donner un petit clou d'or.
Konjiki no / Chiisaki tori no / Katachi shi te
Ichô chiru nari / Yûhi no oka ni.
Sur une colline
Les ginkgos éparpillent
Leurs feuilles dorées
En forme de petit oiseau
Au rayons du soleil couchant.