Le tribut sous le shogunat d'Edo

Le tribut en riz payé par les paysans était la base financière du shogunat et des seigneuries subordonnées.




L'arpentage des terres cultivées.
Jikata Sokuryô no Zu par KATSUSHIKA Hokusai, 1848 (Bibliothèque de la Diète).


Le régime financier du shogunat d'Edo consistait à percevoir le tribut (nengu) en riz payé par les paysans et à en revendre aux marchés urbains. Ce mécanisme était de même pour les seigneuries vassales au shogunat. Autrement dit, le shogunat et les seigneuries subordonnées tiraient du profit comme intermédiaires indispensables d'approvisionnement du riz aux citadins : l'existence du marché urbain en était la prémisse majeure, et il s'engageait a priori à la distribution de la première nécessité alimentaire. Dans ce sens-là, le régime du Japon sous le shogunat est très loin du féodalisme du haut Moyen Âge occidental.

Ce n'est pas TOKUGAWA Ieyasu (1542-1616), fondateur du shogunat, qui l'a inventé. TOYOTOMI Hideyoshi (1536-98) l'a déjà établi dans les année 90 du 16e siècle avec le recensement général des terrains agraires (kenchi) pour dresser les cadastres. On enregistrait non seulement la propriété mais aussi sa valeur économique évaluée en production annuelle du riz. L'unité en est le koku, qui valait environ 150kg de riz battu (le produit normal d'une rizière de 10 ares qualifiée bonne était 1,5 koku par an). On appelle koku-daka la valeur affichée en koku, d'abord déterminée pour chaque propriété agricole par un examen minutieux. Le produit annuel ainsi estimé, le tribut est calculé en le multipliant par le taux de perception. Puis on a le koku-daka pour chaque village, et ensuite pour chaque territoire par sommation.

Sachez que les produits agricoles ou artisanaux secondaires étaient toujours convertis en riz, et que le tribut était payé en grains de cette plante céréalière. Ce n'est pas que l'économie monétaire n'a pas encore envahi la zone rurale à cette époque. Bien au contraire, les paysans payaient leur tribut en pièces de bronze déjà au 14e et au 15e siècle, même dans les régions enclavées comme le Tôhoku.

Le Japon exportait à la Chine depuis 12e siècle leur premières matières comme du soufre, de l'algue desséchée et leur produits artisanaux comme les sabres, les objets de laque, et les éventails artistiques. En échange, il importait du continent surtout des pièces de monnaie de bronze. Le problème, c'est qu'au 16e siècle la Chine ne pouvait plus lui en fournir, et l'obsolescence par l'usage en posait un grand problème dans l'archipel nippon. A la fin de ce siècle, le désordre en économie monétaire surtout rurale en était une grande problématique politique. TOYOTOMI Hideyoshi a donc abandonné le tribut en monnaie et choisi le riz comme le unique repère de toute production rurale.

Comme ce système est fondé sur la perception du tribut proportionnel en principe à la récolte de chaque cultivateur, il était inséparable avec la création d'une vaste couche de paysans indépendants. L'immatriculation de la propriété dans le cadastre signifiait donc d'une part le devoir de donner le tribut, et d'autre part la reconnaissance officielle du statut de propriétaire indépendant au cultivateur. Dans ce sens-là, l'introduction de ce système n'était pas contre les intérêts des paysans indépendants émergents, libérés enfin du joug médiéval du petit seigneur du village.

Déjà vers la fin du 17e siècle, l'augmentation de la production agricole devait accroître la réserve des paysans et leur élever le niveau de la vie. Or, le développement économique de la ville où siégeaient les seigneuries leur exigeait toujours plus de dépense; comme elles ne pouvaient plus compter sur l'augmentation de terrain agraire à la dernière moitié du 17e siècle, elles devaient demander toujours plus de tribut aux paysans, qui ne voulaient nullement abandonner le résidu de leur production, augmenté par leurs propres efforts. Pas plus tard qu'à cette époque il y avait de plus en plus de contestations des agriculteurs.

En effet, les seigneuries en difficulté voulaient toujours élever le taux de perception. Dans le territoire gouverné par le shogunat, il était fixé à quarante pour cent sur la base du koku-daka, mais il était encore plus important dans les seigneuries. La production agricole augmente sans cesse grâce à l'assiduité des paysans, pourtant, et l'excédant à la valeur affichée dans le cadastre était la cause permanente du conflit entre les paysans et les seigneurs : le shogunat et les seigneuries voulaient avoir plus au détriment des producteurs agricoles, augmentant le taux de perception ou ajoutant des impôts secondaires.



F. TAMON 2014