La Villa impériale de Shugakuin

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Pour les photos des jardins, veuillez cliquer sur les étiquettes dans la vue aérienne ci-dessus.

Le lac Yoku Ryû Chi vu du pavillon Rin Un Tei dans le Jardin supérieur.


Portrait de Go-Minô In en habit de moine, par OGATA Kôrin,
début du 18e siècle (Agence impériale).

La villa impériale de Shugakuin fut construite par l'empereur émérite Go-Mizunoo (1596-1680) vers le milieu du 17e siècle. Après son abdication en 1629, il passa une vie entièrement consacrée à la culture pendant un demi-siècle au titre d'empereur émérite (jôkô). Malgré la dignité extrêmement haute, il jouissait alors d'une certaine liberté, impensable sur le trône : il pouvait voir à titre privé les gens qui n'auraient jamais pu s'entretenir avec un empereur en fonction; il sortait plus fréquemment en toute discrétion avec les amis intimes. Un personnage donc bien familier aux Kyôtoïtes, qui l'appelaient traditionnellement Go-Minô In, ou même moins formellement, Go-Minô san. A leur exemple, nous l'appellerons ici Go-Minô In.

L'empereur retiré aimait beaucoup le pic-nique sur les collines. Sa destination favorite était celle au Nord de Kyôto, et il voulait y avoir une villa qui dominât sur la capitale et où il pût organiser des réunions intimes dans la nature. Après plusieurs tentatives, il choisit en 1655 l'emplacement de la villa actuelle.


Portrait imaginaire de TOKUGAWA Masako,
par GEN Shûhi,début du 19e siècle (Kô Un Ji, Kyôto).

Go-Minô In s'y passionnait. Il voulait tout décider à sa guise pour construire un domaine idéal. Selon une légende, l'empereur émérite fit faire une maquette et étudia minutieusement la disposition des pierres dans les jardins. Acte de récompense pour l'impuissance politique absolue imposée par le shogunat? Peut-être. En tout cas, son épouse TOKUGAWA Masako (ou Kazuko; 1607-78) , fille du shogun, lui avait apporté un dot extraordinaire, et le gouvernement des guerriers était plutôt prêt à le satisfaire pour les exigences politiquement anodines. Le monarque n'avait donc pas trop d'ennui financier pour réaliser son rêve.

La Villa de Shugakuin occupe aujourd'hui une vaste étendue au bout d'une des crêtes du mont Hiei au Nord-Est de Kyôto. Les jardins et les bâtiments en sont répartis en trois zones séparées les unes des autres par les rizières et les champs cultivés par les paysans.

Le domaine n'avait originellement que deux zones : celles du bas et du haut. Les sentiers sur la bordure des rizières les reliaient à la guise des promenades. Appelés o-chaya (pavillons du thé), les bâtiments en étaient probablement très simples et peu aptes à y faire la nuit, sauf peut-être le Ju Getsu Kan dans le jardin inférieur. Ils disparaîtront presque tous après la mort de l'empereur émérite; le seul qui nous en reste, le Kyû Sui Tei de la zone supérieure, a été aménagé considérablement au 19e siècle. Les autres que nous voyons aujourd'hui sont des reconstructions tardives ou des apports postérieurs.

Le quartier du milieu était en fait la partie résidentielle du temple de sa fille Ake-no-miya, juxtaposé au domaine mais indépendant, qui n'a été intégrée à la villa impériale qu'en 1885. Les deux principaux édifices datent de la seconde moitié du 17e siècle et exceptionnellement importants dans cette villa où les bâtiments étaient plutôt sommaires.

La zone inférieure a un caractère de camp de base pour la visite impériale. Probablement Go-Minô In arrivait de la ville en palanquin, s'y reposait un peu et repartait à pied pour le jardin en haut. Le chemin que le monarque retiré et ses amis empruntaient est devenu depuis la fin du 19e siècle une allée couverte du gravier blanc et brodée de pins; sur le sentier de sol de leur époque, ils croisaient sans doute çà et là les fermiers qui travaillaient.


Hameau de la Reine. Photo: Trizek (Wikimedia Commons), avec modification.

Cent trente ans plus tard, Marie-Antoinette fera construire le hameau de la Reine au Petit Trianon; déduisant le projet de la philosophie rousseauiste comprise à sa manière, la reine voulait avoir un village idéal, et donc inévitablement artificiel. Quant à Go-Minô In, il n'avait pas de déduction partant d'un principe quelconque dans son esprit ―c'est le commun des Japonais, si j'ose dire―, mais tout simplement un désir de se mêler dans la vie rustique réelle.

Il lui aurait été très facile, vu surtout les travaux du barrage du jardin supérieur, de faire un jardin exquis le long d'une allée digne de son statut s'il l'avait bien voulu. Au contraire, il a voulu garder les contacts avec des paysans réels dans leurs champs et rizières à eux. Leurs terrains restaient en effet des propriétés privées jusqu'à ce que l'État les ait achetés en 1964 pour protéger le paysage de la Villa de leur développement immobilier éventuel.


Rin Un Tei vu du lac.

Dans le quartier supérieur, la simplicité des pavillons trahit bien l'aménagement extraordinaire du terrain : Go-Minô In fit construire sur un torrent un barrage de pierres haut de 13 mètres et large de 200 mètres, afin d'avoir un lac artificiel pour y faire de la barque. La digue toute droite est couverte de la verdure bien taillée comme une grande haie. Vu de la hauteur du Rin Un Tei, soit pavillon à côté du nuage, elle donne une impression surréaliste comme si elle découpait la moitié du lac céleste, pour nous faire entrevoir le monde en bas... N'est-ce pas pour jouir pleinement de cette fantaisie que le monarque voulait sciemment passer dans la réalité rurale?

L'empereur émérite aimait bien sa villa construite à sa guise. Il la visitera 31 fois dans le reste de sa vie. Sa fille benjamine Shina-no-miya s'est étonnée de la santé de son père octogénaire qui a pu monter à pied jusqu'au jardin supérieur.

Après sa mort à l'âge de 85 ans, la villa n'était plus visitée souvent par sa famille. Faute de maintien, elle était déjà en état lamentable 70 ans après sa création. La plupart des bâtiments avait disparu. C'était le shogunat qui voulait la restaurer, à partir du début du 19e siècle : les pavillons ont été reconstruits, et on a ajouté au lac un nouveau pont à la chinoise, Chitose-bashi.


Chitose-bashi.

Certains trouvent le pont déplacé dans le paysage et surtout parmi les pavillons du style purement japonais. Ils ne comprennent cependant pas, au moins, l'esprit de plaisanterie : le nom Chitose-bashi est en japonais propre pour le pont apparemment du style chinois (notons quand même que l'architecte y brise sciemment la symétrie tant appréciée dans l'architecture chinoise). Or, Go-Minô In a baptisé les lieux d'une manière purement chinoise. Le lac, par exemple, est nommé Yoku Ryû Chi, soit l'étang où se beigne le dragon; la petite île au milieu Ban Shô U, bastion à dix mille pins. Rappelons-nous que la verdure du pin reste la même pendant mille ans pour l'esprit traditionnel japonais. D'où vient la dénomination du Chitose-bashi, pont de mille ans. On a donc assorti, exprès, un nom purement japonais aux toponymes en chinois, et un pont de la chinoiserie au paysage typiquement japonais. Voilà l'esprit des Japonais jusqu'à la Restauration (1868), qui n'aimaient pas l'harmonie trop parfaite ou l'uniformité trop régulière.

Informations pratiques

Les visites guidées gratuites sont organisées en semaine et le troisième samedi du mois (tous les samedis en haute saison), mais une autorisation de la part de l'Agene impériale est absolument indispensable.

A partir du 10 août 2016, la demande sur place le jour même de la visite est devenue possible. Les places sont limitées, en fonction surtout du nombre des visiteurs déjà inscrits; elles sont affichées chaque matin sur le site de l'Agence impériale. Sachez que l'inscription sur place commence chaque jour à 11 heures pour toutes les séances disponibles, et vous pouvez tout simplement rater votre occasion si vous arrivez trop tard, ou vous deverez attendre pendant des heures.

Pour l'inscription au préalable, bien qu'il y ait un formulaire de demande en anglais sur le site d'internet de l'Agence, il nous est peu pratique parce que les places disponibles sont extrêmement limitées sur la toile. La meilleure façon d'obtenir l'autorisation est donc de vous adresser directement à l'office de l'Agence impériale à Kyôto (dans le jardin qui entoure le Palais impérial). Si vous avez de la chance, vous pourrez visiter la Villa dès le lendemain de la demande.

Le passeport ou le titre de séjour vous sera d'ailleurs exigé et pour la demande et pour la visite. Sachez que les jeunes de moins de 18 ans ne sont pas admis.



F. TAMON